Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Werner Lambersy

blog dédié au grand poète belge

Quelques petites choses à murmurer à l'oreille des mourants

Publié le 21 Mars 2020 par wlambe

J’ai voulu écrire d’un trait jusqu’à épuisement ce qui vient, comme ça vient, de la mort d’un ami, sachant malgré le temps qu’on ne parle qu’à soi !  Certains diront que cela se sent : tant mieux ! D’autres diront le contraire, tant mieux aussi ! Chacun fera avec ! Je parle au soleil qui s’éteindra… 

Quelques petites choses à murmurer à l'oreille des mourants

ill. jlmi2020

«Toutes ces âmes doivent avoir tout oublié

 pour qu’elles retournent voir les voûtes

 d’en haut et commencent à vouloir revenir

 dans le corps » 

Virgile, Enéïde VI, 748-751  

 

 

Souviens-toi que, joyeux ou triste, tu roulais sur un vélo sans selle ni guidon…

Tu verras, de l’autre côté, tous te salueront de l’élégant chapeau d’une galaxie.

C’est comme une escalade en montagne, si tu as le vertige, ne te retourne pas.

Si tu as trop de choses à dire, et que tu ne peux pas, tire simplement la langue.

Tu n’as plus de temps ! Bientôt tu ne sauras plus qu’en faire mais sans partage.

Les pleureuses sont là, mais ne t’inquiète pas ce n’est que la pluie sur les vitres

Il est temps que tu rendes tes paupières trop lourdes au grand papillon de nuit.

Je te parle de la poussière pour que tu apprennes à danser puis à rester calme.

Abandonne le bruit de la bouche ; écoute le goutte à goutte colossal de l’univers.

Déjà ta mémoire vient d’atteindre la vitesse de croissance des forêts de bambou.

Un océan va pénétrer ta poitrine ; tu ne la crois pas assez vaste, mais tu verras.

Dors ! Pense à Elie, à ceux enlevés dans le char de feu d’un obus, d’une bombe.

Qui te demande d’être prêt ? Alors que c’est toi qui dois nous préparer à suivre.

Oui nous pardonnons ! Nous t’aimons, mais c’est d’abord à toi de te pardonner.

Je ne sais plus quoi te dire, mais je sais, même de loin, qu’il ne faut pas arrêter.

Je te verrai heureux ! La longue nuit, le long sommeil me l’ont promis en rêvant.

Je prends ma part de toi pour la porter jusqu’à la part de moi prise par un autre.

Tu n’as pas tout dit, moi non plus, nous y aurions passé nos vies sans en rire.

Maintenant il y a des chevaux dans ton souffle, comme c’est beau une horde !

Tu as pris les armes d’Achille et te voilà mort par amour, ô poème, ô Patrocle.

Tu dis non, tu refuses, et pourtant tu écoutes ce que tu ne veux pas entendre.

Répondant à mes questions, tu clignes deux fois pour oui, deux fois pour non.

Mon frère humain, te voilà déjà plus que toi-même: la grande moisson se lève.

Combien d’étoiles, le sais-tu, meurent comme toi et combien naissent aussitôt

L’énorme fatigue que tu connais va enfin trouver sa place dans le néant léger.

Le silence est un bandeau sur ta bouche et tes oreilles, j’’y écrirai ton prénom.

Ma voix s’éloigne, la musique prend sa place ; ce qu’elle dit restera entre vous.

Ton regard, oh ! le cerf-volant de ton regard ! Comme il tire sur les cordelettes !

C’est un lit d’hôpital, oui ! Un lit où l’on ne fait l’amour qu’avec de l’insoutenable.

Tu n’as pas d’argent pour l’obole ; moi non plus. Nous aurons donc vécu ainsi !

Tu vas entrer dans ce que tu appelais silence mais le silence, ça n’a pas existé.

Tu es né d’une femme : pour fermer la boucle, il faudrait le visage d’une femme.   

Essaie de partir comme un parfum encore  présent même quand il n’est plus là.

Mon ami, tu avais la clé, tu ne savais qu’en faire, te voici enfin devant la serrure.

Je t’apporte en pensée une orange, c’est peu, mais à la peler, connais le plaisir.

La marée monte, de la falaise de ton souffle que le plongeon soit une perfection.

La douleur enlève son masque, te voilà beau et nu comme l’annoncent tes mains.

Amis, amours, la vie, seront présents avec la mouche qui zonzonne autour de toi.

Comme nous, tu n’es que cicatrices mais celle qui t’occupe prend forme d’horizon.

Ce qu’on a fait, personne ne peut y croire sans mensonge; tes souvenirs non plus.

Ne crois rien, mon frère, retournes sur tes pas : tu connais le chemin des miroirs.

Choc et secousses, on accroche ton wagon au train qui va où les rails se joignent.

Sueur sur ton front comme ces fleurs du jardin qui atteignent le « point de rosée ».

Aimer, souffrir ! Le médecin posera la même question : vous avez mal comment ?

Dans agonie, alpha privatif ? Mais de quoi ? Je pense soudain à « gone » enfant.

Aux anges, tous les nuages sont bons pour entrer en toi : pilule, piqure perfusion.

Je raconte n’importe quoi, dix ans après, mais chaque mot est un radeau vers toi.

On m’avait dit de venir ! J’ai préféré faire le chemin avec la paresse que tu aimais.

Ta montre ! Ce qu’elle donne n’a plus cours, elle dans un tiroir ; toi, dans un autre.

Pense à ton corps : ce que tu crois dehors était dedans, l’âme est son vide-poche.

Ce qui t’arrive est simple, tu ne pourras bientôt plus fermer les paupières tout seul.

Au regard des étoiles, morts, vivants et à venir, nous ne sommes pas si nombreux.

C’est inadmissible, d’accord ! Un dieu, paraît-il, tient la main courante des plaintes.

Je t’offre de la mélancolie : ce que j’ai de plus doux même pour mon propre usage.

Tu aurais souhaité le suicide ! Mais c’en est un ! Tu le sauras bientôt, si pas avant.

Te laisser seul ? Mais ce serait pire ! Toi, tout seul, avec ton âme, cette concierge

Réjouis-toi, ta pensée va connaître des choses plus légères que les pas cadencés.

J’avais envie de te frapper ! Tu ne m’avais pas dit qu’un jour tu pourrais t’en aller.

La mort est née le jour de ta naissance ; maintenant il faudra la laisser vivre libre.

Concentre-toi sur le vacarme des chutes d’eau dont tu approches en nageant vite.

Entre tes rides si belles, toujours ce tatouage « si j’avais su, je serais pas venu ! »

Tu disais à qui l’écriture sert-elle sauf à celui qui écrit, et la parole à celui qui parle.

Garde ton souffle pour éteindre la bougie qui brille au fond du tunnel de l’éternité.

Tu as fait la face nord avec la cordée, prépare-toi à redescendre seul et en rappel.

Rejette le lest, tu n’en as plus besoin, même l’air des ballasts fait tâche sur la mer.

Ton souffle comme les fleurs en automne est parti pétale après pétale et fait tapis.

Tu rejoins le vol du grand nombre, celui des étourneaux qui remplissent les livres.

Tu mangeais les nuages, c’était un jeu ! Maintenant, ce sera ton travail de forçat.

Rassemble ton silence, le premier son choral sera le souffle de la grande voyelle.

Entre ceux qui t’aimaient et les autres, il n’y a que le besoin que tu en témoignais.

J’aimerais pouvoir te consoler, mais la consolation n’a jamais consolé personne !

Mourir ! Au moins on ne sait pas ce que c’est seulement ce que cela ne sera plus.

Dans Hamlet, la question d’être ou de ne pas être n’a-t-elle de sens que la torture.

Chaque fois que je prononce ton nom, sens-tu le souffle de vie dans tes narines ?

Ce n’est peut-être pas murmurer qu’il faut mais ça force l’écoute comme la prière.

Je ne sais plus qui est meurt et depuis quand tant c’est à soi-même que l’on parle.

A la fenêtre, un moineau t’a fait sourire, pourtant jamais les moineaux ne sourient.

Je suis venu pour toi, que ce mensonge t’apaise, nous sommes deux à avoir peur.

Malade Vespasien empereur répondit avec humour « je sens que je deviens dieu»

Le fil du Temps, retiens ça, est comme le fil à couper le beurre mais sans le beurre.

Je pourrais te mentir, mais je ne saurais même pas où commencent les menteries.

Avant d’éteindre la lumière et de partir, vérifie bien qu’il n’y ait personne derrière toi.

Ne t’inquiète-pas, je ne cesserai pas de te parler sous le ridicule prétexte de ta mort.

Que puis-je encore ajouter de neuf sinon ce qui s’efface à mesure de ton absence.

Te voilà dans l’Infini antérieur, l’Infinitif intérieur, etc., le jeu de l’oie des mots, dis-tu.

« Das Sprache ist das Haus des Seins… »Toi, Martin Heidegger ! Moi, André Beem.

Non, tu n’es pas né pour rien, mais de là à ce que cela soit utile, il ne faut pas rêver.

Pas besoin de me mettre à ta place ! Nous y sommes tous depuis notre naissance.

Je te parle car la mort est attente, pas que passage ; j’attends quelqu’un moi aussi.

« Und Dichtenden sind die Waechter dieser Behausung » moi, Jane, dit le poème !

Parce que j’étais ailleurs, je dis cela à l’ange rebelle de tes cendres dans le cyclone.

Parce que je n’ai pas couvert ta face de mon ombre penchée comme sur ce papier.

Parce que je n’ai pas pu tenir ta main quand s’est éloigné l’arc-en-ciel de ton regard.

Parce que te lisant je fête l’eau changeante de ta rivière pourtant toujours la-même.

Parce que tu disais ce que personne ne demande aux mourants que nous sommes.

Parce que je marcherai ton nom le long des rues de l’encre noire de mes horizons.

Parce que tu n’étais plus là pour m’arrêter, j’ai puisé au fond de ma fatigue…

 

 

    

Commenter cet article