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photo jlmi Ploumanac'h 2005
La nuit
Les lunettes noires du soleil
Font de lui un aveugle
Qui mendie
Sous les lampadaires
La petite monnaie des étoiles
Qu’il la garde
Dans le grand chapeau mou
De l’espace
Demain
Il suivra sa canne
Blanche le long de l’horizon
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en Turquie (ill.X)
Nous construisons des ruines
Sur les ruines
À venir
La chenille des sexes
Ne deviendra
Pas un papillon Socrate avait
Raison : on ne
Peut rien contre les rumeurs
L’océan reprendra toute sa
Place sur la
Terre Les oiseaux auront des
Cris ultimes
Avant le feu gargantuesque
Des soleils
La nuit nous entraînera dans
Son grand
Domino Nous érigeons des
Ruines
Rien ici n’est fait pour durer
Et c’est
Bien : ce n’est ni punition ni
Vengeance
Le bien et le mal demeurent
Inséparables
Mais Il n’y a pas de coupable
Le carnage
La furie des hommes le bien
Et la beauté
Collaborent à cette vie têtue
Nous construisons des ruines
Car nous savons
Qu’elles seront belles et nous
Aimons toucher
Et contempler et le bas le haut
Et tout ce qui
Devient de la beauté plus que
Nous mêmes
Et ce chaos du début sans fins
Nous construisons des villes
Pour nos tv
Vidéos pharmacie machines
Drogues
De toutes espèces et amour
De homards
En cage pour être dispersés
Dans l’espace
Où les étoiles s’éloignent et
Basculent
Derrière un invisible horizon
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ill. jlmi2022 Bruxelles/Forrestal
Les mamans de mes amis
Sont mes amies
Une fois par semaine aux
Goûters qu’elles
Donnent aux amis du fils
De quatorze ans
Les matelots du Forrestal
De la sixième
Flotte américaine en baie
De Cannes
M’ont ouvert leur bordel
Les filles étaient de Corse
Ou de Marseille
Et j’envoyais chaque jour
Une lettre à
Mon amour de Bruxelles
Je n’avais pas encore vu
Beaucoup de pays tristes
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toile. jlmi
Déjà
Ce que j’écris
S’efface en l’écrivant
Comme une lampe
Encore chaude
Que la lumière a fui
Un phare
Qui ne sait plus
Où la mer s’est retirée
Un oiseau
Qui se retourne
Et ne voit rien du vent
Qu’il a brassé
Où
Est l’amour
Et que s’est- il passé
Ces derniers dix
Mille ans
*
Le corps s’est fatigué
La photo d’identité
Qui avait une laideur
D’avance
Sur l’ourlet des lèvres
Et l’arrondi des joues
A aujourd’hui raison
On ne sait
Quel tampon de douanes
Ou de police du temps
A pu frapper si fort
Ni quelle agrafe
A rouillé près des tempes
Pourtant
On se servait de ça pour
Passer
Les frontières des filles
Et voyager
Dans le lit de leur regard
*
Rien de plus dur que
Les noix
De muscade du passé
Mais la râpe du temps
Est en inox
Alors
Pour aimer encore un
Peu
On feuillette
Les cahiers d’écoliers
Les brouillons
Et les livres d’images
Défraîchis
Que la vie a griffonnés
Sur la peau
Pour passer
L’examen de savoir
Si l’âme avait
Espéré autre chose
Un serment un mot
Par exemple
Un billet aller simple
A deux
Pour n’importe où
*
Je me souviens des instants
Où j’étais l’univers
Quand il n’y avait
Rien d’autre que l’évidence
Je me rappelle être sorti
Du temps
Pendant que tu donnais
Mon nom
A chaque goutte de pluie
Qui tombait
Sur la vague en désordre
Des longues
Inondations de nos sens
Et on faisait
L’amour de toutes les façons
Qu’ont les nuages
Je me rappelle
De chaque fabuleux vagin
Du crépuscule
Et de la chair de poule
Des étoiles
Sur la peau douce du monde
Des secousses d’automates
Dans la vitrine de Noël
De nos corps
Des coups de reins du vent
Quand tremblaient
Dans l’arbre de nos désirs
Les lampions
Multicolores d’une caresse
Et surtout des trottoirs vides
Du silence
Sur les digues
Face au trou noir de l’océan
Que soulève
D’un râle
La volupté houleuse de la nuit
Jusqu’à ce que la lumière pâle
Frotte son zeste
De citron
Sur la gencive rose de l’aurore
*
Rien n’est venu
De ce que nous attendions
Avec l’obstination
De ceux qui grattent
Dans le plâtre des cellules
Le compte des jours
Aucune aube
Qui ne soit restée une aube
Aucune lumière
Que l’ombre ne rattrapera
Et nous nous somme mis
A aimer
La persistance des vinaigres
Et l’amertume
Insatisfaite des alcools
Rien n’est venu
De ce que nous attendions
L’instant
N’est pas dans ce qui attend
*
Aujourd’hui nous sommes
Ce que l’attente a
Fait de nous
Quand donc viendront
Ces choses
Entendues chaque fois
Que souffle
Dans la tempête
L’écho des promesses
Non tenues
Sans qu’on sache par qui
Ni de quoi ils s’agit
Et qui sait si cette absence
N’est pas
Tout ce que l’on attendait
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pour Pierre Drachline
1.
Il voulait voir le maître.
Aussitôt reçu, il demanda : qu’est-ce que Dieu ?
D’un doigt sur le bouton électrique, le maître plongea la pièce dans l’obscurité.
Le jeune homme reprit : il faut donc y renoncer ?
Le maître d’un geste identique ralluma ; ses yeux souriaient avec bonté.
2.
Maître, qu’est-ce que la mort ?
Quoi ? Dit le maître.
Et le jeune homme répéta : qu’est-ce que la mort ?
Quoi ?
Maître, qu’est-ce que la mort ?
Quoi ?
Et le jeune homme se leva tandis que le maître prenait sa canne pour sortir.
3.
Maître, qu’est-ce que la pensée ?
D’une main vive le maître attrapa une mouche qui passait par là.
Maître, dit le jeune homme déçu : mais ce n’est qu’une mouche !
Le maître ouvrit la main pour qu’elle s’envole à l’air libre où tout peut arriver.
4.
Une jeune et jolie femme se plaça devant le maître
Maître, qu’est-ce que l’amour ?
Le maître ouvrit la bouche, comme pour répondre, puis il poussa un cri terrible et se
tint silencieux en riant doucement.
La jeune femme, trouvant sans doute la réponse satisfaisante, sourit à son tour et
se leva sans un mot.
5.
Le jeune homme venait à peine d’entrer et de s’asseoir respectueusement.
Aussitôt, le maître le gifla avec force.
Pourquoi, demanda le jeune homme dont les joues rougissaient ?
Mais le maître ne répondit rien et , avec la même force, frotta une allumette,
montra la petite lumière et alluma un cierge.
6.
Après un long moment de silence, le jeune homme, un peu gêné, demanda ;
qu’est-ce qu’un poème ?
Le maître réfléchit puis dit : reviens ce soir !
Il faisait une belle nuit claire et froide. Le maître était assis sur une terrasse de bois.
Il fit signe d’approcher. Dans un grand baquet d’eau on pouvait voir la lune.
7.
Inlassablement, le jeune homme revenait. Jamais découragé, il questionna :
Maître, qu’est-ce que la nature ?
Le maître qui se montrait toujours vêtu avec simplicité et élégance,
marqua un temps, sembla hésiter puis retira son dentier et le posa à côté
de ses lunettes
8.
Un jour qu’il était seul, le maître, regardant un vol d’oies sauvages
disparaître vers l’horizon,
enleva sa montre bracelet et la jeta dans l’herbe.
Il se sentit heureux et, sur le chemin du retour, se mit à chantonner.
Le soir même, quelqu’un, croyant bien faire, la lui rapporta.
Le maître remercia mais il se sentait très malheureux !
Dans son esprit, plus jamais ne passeraient d’oies sauvages.
9.
Maître ! Maître, venez voir…
Un homme dansait avec grâce dans la rue, sa sébile posée à terre.
Le maître montra qu’il appréciait ,
puis il demanda au jeune homme de trouver un verre d’eau.
Il en aspergea les pieds nus du danseur. Celui-ci s’arrêta étonné, mais
le maître lui dit : le vent agite tes feuilles, la pluie nourrit tes racines.
10.
Il arrivait au maître de s’endormir devant son visiteur.
Le jeune homme se tint coi pendant un long moment, puis n’osant réveiller le maître,
il imita le chat, miaula et se mit à gratter le bois de la table
Miaou ! Miaou ! Miaou !
Le maître sortant de son sommeil (ou faisant semblant, allez savoir !) fit aussitôt
Whoua ! Whoua ! Whoua !
11.
Il faisait mauvais. On entendait contre la vitre frapper l’averse violente.
Le maître semblait d’humeur maussade. Comme d’habitude le jeune homme prit
place, mais avec précaution.
Le silence dura une éternité. Chacun regardait un point fixe dans le vide.
Soudain le maître s’exclama ; ça fera deux cents…
Tu allais me demander ce qu’est l’argent !
12.
La jeune femme arriva en retard. Lorsqu’elle pénétra dans la pièce,
d’abord elle chercha des yeux le maître,
mais elle découvrit sur le siège habituel, un grand miroir.
le maître avait calligraphié dessus ; aujourd’hui, c’est le jour du poème !
13.
Comme il y avait déjà longtemps que le jeune homme venait, il osa demander :
Maître, qu’est-ce que le temps
Après un court moment, le maître puisa dans une petite coupe de cerises placée à
côté de lui, en choisit une, arracha la queue, mangea la chair avec application
et un plaisir évident, puis déposa le noyau dans la paume du jeune homme.
Passé ! Présent ! Futur !
14.
Il fallait s’y attendre ! Un jour, le jeune homme demanda :
Maître, qu’est-ce que la vérité ?
Le maître respira plusieurs fois profondément, puis se levant il prit son lourd
coupe papier,
alla droit vers le miroir toujours là et ,de toutes ses forces, il balança l’objet
en plein dedans.
Effrayé, le jeune homme timidement demanda :
maître, puis-je emporter un morceau ? « Va, le bruit suffit ! » Dit le maître.
15.
Cette fois, ensemble, ils descendaient un fleuve dans une barque légère.
Le maître laissait tremper sa main dans l’onde bavarde ; le jeune homme ramait.
Attentif, il écoutait : Maître, j’entends bien mais que dit l’eau ?
A ces mots le maître se mit debout, se déboutonna et pissa dans le courant.
16.
Au pied d’un arbre, le maître jouait de la flûte. Il jouait mal
mais on se sentait bien.
Quand ce fut fini, et que le silence qui suivit le fut aussi,
le jeune homme, considérant avec émotion le vieillard chauve
et sans chapeau sous le soleil,
s’émut et dit : maître, pour vous, qu’est-ce que l’émotion ?
Le maître qui avait chaud se passa la main sur le crâne :
C’est ce qu’une perruque ne pourra jamais remplacer !
17.
Ils avaient parlé de tout et de rien.
Encore un peu excités, ils se calmaient lentement
en regardant le crépuscule envahir la pièce. Enhardi par cette intimité,
le jeune homme se permit ;
maître, que peut-on faire contre la mort ?
Le maître réfléchit puis brutalement tira la langue,
ensuite, il approcha la théière et versa mais le thé était froid.
18.
Debout sur la terrasse, le jeune homme semblait plongé dans
la contemplation d’un ciel pur
plus étoilé qu’une plage de sable sous la pluie.
Se tournant vers le maître resté à l’intérieur, il demanda : maître,
sommes-nous vraiment seuls dans l’univers ?
Le maître retira le plaid de ses épaules, sortit un mouchoir bien plié
et bruyamment se moucha dedans.
Est-ce que ça te va comme réponse ? Et il fit disparaître
la petite boule de tissu.
19.
On entend de moins en moins la voix humaine, dit-elle ;
tout passe par des machines mais la voix humaine, c’est plus que ça !
Le maître sourit, se leva, s’approcha sans rien dire et lui pinça le bras.
Aîe ! Vous me faites mal !
Le maître, qui ne parlait pas souvent ni beaucoup, lui dit
avec une sorte de tendresse : Jamais une machine ne pourra faire
ce que tu viens de faire…
20.
Ils avaient bavardé
en se promenant autour du bassin des carpes.
Le jeune homme demanda ; maître, pourrais-tu m’en dire plus
sur la question de la poule et de l’œuf ?
Le maître s’arrêta, avec deux doigts, il retira de sa bouche un bout de chique.
Tiens, dit-il, en le jetant, trouve m’en un autre ; celui-ci n’a plus de goût !
21.
On traversait un petit bois jouxtant la cité. Le maître écoutait, ravi, cette rumeur
faite de mille fuites, rencontres et pourtant d’une paix comme immémoriale.
Le jeune homme paraissait mal à l’aise et finit par demander :
Maître, que faut-il penser de l’éternité ?
Le maître, écartant de la main quelques insectes et brindilles,
s’assit et dit : regarde ! On dit que ces grands arbres sont éternels
mais rien ne pousse à leur pied !
Puis il s’endormit couché sur le tapis moelleux des feuilles mortes.
22.
Le maître, après huit jours d’une retraite abstinente, se tenait dans sa cuisine.
Une question le tracassait ; savoir quand, exactement,
les pâtes seraient al dente.
Le jeune homme, à côté de lui, coupait des oignons qui le faisaient pleurer.
Il demanda : maître, est-ce qu’il y en a suffisamment ?
Oui, oui ! Je n’en ai pas besoin, j’avais juste envie que tu pleures un peu
à cause de moi.
23.
L’automne, saison du grand âge pour les noisettes,
et pour les hommes, de la perte des dents, tirait à sa fin.
Le jeune homme, vêtu ce jour-là avec recherche comme pour une fête,
demanda : qu’est-ce qu’être riche ?
Le maître se tourna vers le petit Ginkgo qui ornait la table basse,
prit entre ses doigts le Sage aux mille écus,
aux mille palmes délicates d’or fin, et le secoua d’un geste bref.
D’un coup, d’un seul,
le tronc fut nu et le cercle végétal de sa couronne dorée à terre…
24.
C’était clair ! Le maître ne voulait plus jouer au maître,
et le jeune homme ne voulait plus rester un jeune homme !
Peut-être le maître voulait-il redevenir un jeune homme,
et le jeune homme être un maître ?
Mais la jeune femme s’étant trompé de jour, il arriva qu’elle fit irruption.
Aussitôt le maître eut honte
et le jeune homme rougit. Seul le perroquet dans sa cage
répéta « Coco est content ! »
et la jeune femme, à travers le grillage, lui donna quelques graines.
25.
La voix du jeune homme se fit grave, comme s’il avait de la peine.
Baissant les yeux il demanda : maître, que ferez-vous après la mort ?
Le maître considéra, puis ferma le cahier ouvert devant lui.
Il allait répondre lorsque quelque part une porte claqua.
Le maître se tut, haussa le sourcil et montra qu’il ne savait pas si
c’était un courant d’air, quelqu’un qui entrait ou qui peut-être sortait …
26.
Maître, tout cela, ce ne sont pas des réponses !
Et le maître qui, par curiosité ou par inoccupation, comptait
combien de petits pois contient une boîte
de conserve, répliqua :
il n’y a pas de questions, seulement des faits !
Ma lèvre d’en haut ignore ce que dit ma lèvre d’en bas
et vice versa…Mais c’est bien ma bouche qui parle !
27.
Il faisait un temps de chien pour aller voir la mer !
Il ventait si fort qu’on pouvait à peine s’entendre parler.
Il n’y avait pas d’horizon, rien que des vagues dansant furieuses
par-dessus la digue-promenade.
Plié en deux, le jeune homme soulevant son cache-col hurla :
maître, croyez-vous qu’on puisse devenir artiste ?
Le maître s’arrêta pile, fixa le jeune homme dépeigné, et sans
un mot lâcha son parapluie ouvert qui disparut dans la tempête.
28.
Les aveugles ont des cannes d’aveugles.
C’est ainsi que parlait le maître, mais par-dessus tout il aimait
le petit bruit de la sonnette
sur le guidon de course du vélo de la parole !
Tout le monde sait que les vélos de course
n’ont généralement pas de sonnette ! Un jour que le jeune homme
entrait comme d’habitude, il trouva la pièce plongée dans le noir :
Maître, où êtes-vous ?
Et le voila obligé de sortir sa lampe torche.
Le maître attendit. Le jeune homme finit par épuiser les piles.
Alors le maître : c’est comme ça qu’il faut faire ! Quand tu sais où
tu es, c’est que tu n’es plus nulle part et il alluma la lampe.
29.
Le jeune homme trainait la patte.
Il se plaignait de son genou, de sa cuisse, de son dos : maître, j’ai mal
Aurais-tu quelque chose pour ça ?
Le maître laissait dire et continuait son chemin.
Maître, pourrait-on s’arrêter à une pharmacie ? Le maître s’assit
et considéra attentivement les épaules inégales du jeune homme :
va t’acheter des chaussures sans talonnettes, ou mieux des sandales ;
les grecs marchaient en sandales
et nous leur devons presque tout de la marche du monde !
30.
On était à la veille de Pâques.
Devant l’église, une petite fille vendait le triste buis.
Un instant le maître rêva de palmes, de joyeuse entrée !
On ne tue pas d’esclaves sur des palmiers ; c’est impossible !
le jeune homme acheta une branche bénie :
maître, irons-nous à l’intérieur ?
Le maître refusa ; les hommes sont trop bavards avec leurs dieux.
Il prit une branche fleurie d’un forsythia, l’offrit à une passante ;
celle-ci sourit joliment :
c’est divin, dit-il, allons boire un verre car j’ai vu l’intérieur !
31.
Le jeune homme ne pourrait plus venir ; on l’envoyait au bout du monde.
Maître, je vous ai apporté quelque chose.
Il tendit un superbe coupe-papier qui allait bien
avec le presse-papier jeté dans le miroir !
Le maître parut touché, se leva, partit vers la cuisine et revint
avec la râpe à fromage et la pince à spaghetti dont il s’était servi l’autre jour.
La première est pour ce que je t’ai appris
et la deuxième pour remuer et servir tant que c’est chaud.
32.
La jeune femme vint à son tour pour annoncer qu’elle partait
avec le jeune homme.
C’était un peu grâce à lui, dit-elle, parce qu’elle avait beaucoup ri
quand le jeune homme lui racontait…
Le maître, hilare, s’esclaffa : c’était donc vous la porte qui claquait !
Resté seul, la maître pensa : c’était donc pour vous
que la mer montait dans mon encrier et le souffle des mots
dans ma gorge de girafe !
Et son crâne chauve, sous ses éclats de rires solitaires, se ridait
comme un étang calme où une troupe de canards vient de se poser.
33.
Restait le perroquet !
Le maître l’emmena sur son épaule visiter tous les bistrots de la ville,
toutes les gares, partout enfin où l’on fait du bruit avec sa bouche.
Le perroquet apprit vite.
Ce qu’il entendait n’étant pas très varié !
Le maître offrit à ses voisins radio, tv, cd, et même son portable
qui sait tout faire puis il écouta longuement son perroquet.
Un perroquet de même que le cerveau ne ment jamais, ne rit pas non plus !
Le maître eut une pensée pour le jeune homme et sa compagne
puis brutalement s’affaissa.
C’est tristement que le perroquet dit « Coco est content ».
34.
Le temps passa ; le jeune homme revint.
Devant le maître qui semblait fatigué, il se troubla mais ne put s’empêcher
Maître, j’ai besoin de savoir ; que penses-tu des mots ?
Le maître marqua un temps, saisit dans un bouquet près de lui
un bouton de rose, le huma longuement, le mit en bouche
et le mâcha avec tous les signes d’un bonheur intense…
Puis il l’avala.
Satisfait de la réponse, le jeune homme s’apprêtait à partir quand le maître
soudain lâcha un formidable pet . C’est ça aussi, dit-il.
35
La jeune femme, elle aussi, revint.
Rougissante, elle avoua : maître, tu le sais, nous nous aimons lui et moi mais
nous n’arrivons pas à nous le dire.
Le maître se retira puis revint s’asseoir à sa place. Il tenait dans sa main droite
deux noix encore dans leur coquille. Il ferma son poing, serra fort ;
on les entendit craquer l’une contre l’autre !
Les noix étant ouvertes, le maître, de la main gauche, celle du cœur,
fit le tri, offrit les meilleurs morceaux et dégusta le reste
36.
Maître, comment faisaient nos grands anciens pour marcher sur l’eau ?
Le maître prit son bol, vida ce qui restait dedans sur la table et passa la main
pour l’étendre;
il prit ensuite un brin de laine de son vêtement et le laissa tomber
sur le liquide où il flotta sans problème
37.
Depuis le temps ! Le jeune homme venait, entrait,
prenait place presque rituellement face au maître, et attendait.
Souvent le maître méditait, les yeux fermés, immobile,
sans aucune expression…
Mais quand une mouche se posa sur le nez du maître
sans provoquer un seul frémissement… Le jeune homme s’inquiéta.
Le maître se tenait droit dans son fauteuil et devant lui sur le bureau
on pouvait voir un billet : « je dors, ne m’éveillez plus » !
Le maître était mort !
38.
Quand la police vint pour le constat, elle demanda quand, comment…
Le jeune homme
alla à la fenêtre, souffla sur la vitre fermée
qui se couvrit aussitôt de son haleine et devint opaque,
puis il ouvrit, et le voile de buée disparut, laissant le carreau transparent.
39.
Pour la dispersion des cendres, le jeune homme et la jeune femme
envoyèrent des fleurs. Ils étaient loin !
Pas un mot ne fut prononcé ; un oiseau chanta car on était au printemps.
Un promeneur dit ; sens-tu les parfums qui nous entourent ?
A l’entrée, une vieille dame demanda si on pouvait entrer avec son chien.
Regardant l’azur, on pensait à ces poissons d’appartement dans leur bocal.
40.
Le quarantième jour, les travaux de réaménagement de l’appartement furent
terminés. Jamais on ne vit le propriétaire, une agence s’occupa de tout : on put
poser l’écriteau « à louer ».
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