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                                                                                                                         collage jlmi 2014

    podcast

    Requiem allemand de Brahms : 6 ème mouvement Denn wir haben hie keine bleibende Statt  extrait

     

     

    Depuis des années, un requiem allemand me poursuit, me hante, par son déploiement d’ailes au-dessus de la clameur, comme les gouffres, le précipice, suivent celui  qu’ils savent sujet au vertige ! Le souffle ténébreux, l’essor de son ample partition, m’élève aux horizons vides sans pensée, consolation ni promesses ! Mais pas les psaumes, le régiment des chœurs, les poupées peintes de nos paniques, ce camouflage verbalisé de notre honte et l‘hymne insomniaque, dont nous abreuvons le silence d’un dieu, mis en scène par l’espérance, notre faute la plus grande, après l’illusion puérile de durer et l’abandon de notre liberté !

     

    « Un requiem humain » disait Brahms ! Et jamais depuis, l’homme n’a mieux montré jusqu’où pouvait aller, sans fin, l’horreur collective de détruire, où notre hubris fait basculer l’harmonie du monde dans un tohu-bohu criminel par sa constante cruauté et la féroce gloire de se vautrer dans l’or ! La solution finale ne fait peur à personne, même si l’on sait que l’énergie noire dévorera la matière sombre jusqu’à l’extinction totale des soleils.

     

    Il fait froid, et déjà sombre, ce soir de févier 1986, quand je me présente devant les grilles cadenassées de la villa où se tint en 42 la conférence de Wannsee ; depuis la gare, d’où je suis venu à pied, la neige a effacé mes pas ; je suis seul, dans un quartier bourgeois aux volets clos, où les chiens aboient comme hurlent des loups. Mon père, quarante ans plus tôt, invité lui aussi, roulait dans une berline officielle ; on salua militairement sa visite ; le Litterarische Colloquium Berlin m’attend demain pour une lecture traduite et publiée par Hitzerroth verlag de Quoique mon cœur en gronde ;personne n’est venu à ma rencontre…

     

    Maintenant, Il fait presque nuit. On ne voit pas le lac ; on le sent proche. On imagine, sur le miroir éteint de l’eau noire, la lente, la légère, l’enveloppante avalanche oblique des flocons, traversée par les derniers hérons cendrés…Le Japon venait d’entrer en guerre ! On avait trouvé un piano à queue intact dans les faubourgs en ruines de l’hiver russe ; dans le désert cyrénaïque, des cornemuseurs en kilt, tête nue devant les troupes, couvraient les mitrailleuses, comme des oies sauvages qui à grands cris retournent au pays. On respirait mal dans l’U-boot en plongée sous les mines ! On respire mal dans la mémoire ! On meurt sur les mines du Mur.

     

    Ne comptez pas sur les passants ! Les plus jeunes ignorent, les plus vieux préfèrent se taire ; entre les deux, ils ne descendront pas de voiture ; quelques femmes dont mon accent allumera les yeux, peut-être, plus tard…Mais leur demander un hôtel me semble impossible ; pourtant mes souliers de ville sont trempés, mon sac est lourd et j’aimerais dormir. On dit qu’au soir de la conférence Heydrich se permit un verre de cognac en compagnie des invités et que, de la terrasse, la vue sur les jardins et le vol des grands cygnes au-dessus du Wannsee était superbes. Il n’aurait pas été étonnant, qu’émus par l’alcool et le sentiment d’une victoire, ils chantent en chœur le Horst-Wessel lied ou Alte Kamarade.

     

    Pataugeant dans la boue brunâtre d’un sentier forestier vers, au loin, une frange de lumières et sa rumeur de DCA autoroutière, moi, plein d’une Espagne pour qui sonne le glas, j’en étais aux  moersoldaten et, bientôt perdu par l’absence de repères, le bas du pantalon botté de glace et fouetté de fougères géantes, je ne voyais du ciel que le trou énorme de la nuit et le sulfure agité de la neige ; aussitôt, me revint à l’esprit comment, en 44, rue Rogier à Bruxelles, nous avions dégringolé nos trois misérables étages, pour voir passer depuis la rue les bombardiers   en route vers Berlin. Le grondement semblait sans fin ; le ciel, fermé à jamais !

     

    Neige et nuit, nuit et brouillard ! Je ne sais plus où j’en suis. Ça dégouline d’images dans la corniche du cortex, les rigoles de l’hippocampe : chicots noircis de Dresde, Hiroshima jusqu’à l’os, forêts défoliées du Viêt-Nam. Que suis venu chercher ici ? Invité pour des poèmes. Rien d’autre. Fond de l’œil pour Œdipe !  Je n’en peux plus, pitié pour mes poèmes ! Le voile de Véronique, le saint suaire de Turin, le masque mortuaire de Dante sont des toiles de Myrian ou de Bacon, la photo d’une petite fille en flamme qui s’enfuit, ou les cantos pisans de Pound.

     

    Il y en a trop ! Les fosses ne suffiront pas ! C’est donc  ici, au bord du paisible Wannsee, qu’on décida d’ensevelir dans les nuages, un par un, ou par groupes homéopathiques, un vaste peuple d’individus. Depuis chacun trimballe avec soi l’ombre d’un assassin qui lui ressemble comme un frère. Lorsque, pendant la guerre de Corée, les bougies mirent le feu aux cheveux d’ange du sapin de noël, ma grand-mère jeta une couverture sur l’incendie, l’étouffa, et vaticina à la tablée qui recommençait à s’empiffrer : pas op ! De koppe zulle rolle ! On avait oublié de tuer Cassandre et la bise dans les sous-bois avait pris la voix de ses 80 ans… 

     

    Tout se mêle : les bruits, les voix, le chant secret de l’âme et les feuilles mortes qui s’envolent. Qui parle et qui ne parle pas ? Orphée, Orphée qu’es-tu venu chercher ici ? Retourne-toi et l’enfer retournera aux enfers ! Enfant sur le poste à galène du temps, je bricolais l’éternité. Père, ô père, pourquoi m’as-tu abandonné ? Au pied de la croix, il y avait Greta  Garbo, Marilyn et Miriam Makeba ; Pasolini de Patmos…J’écoutais  Bartók, Cage et Spike Jones comme du Bach. Je tombais avec cet homme, vu aux actualités Belga vox, qui avait lâché trop tard l’amarre du Zeppelin.

     

    Le ciel reste avec de l’encre d’imprimerie sur les doigts qui laissent des traces sur le papier mais quelque part on a tourné le commutateur de la lune, et on y voit comme à travers d’un rouleau de piano mécanique ! Les vieilles bandes enregistrées sorties du placard de l’oubli ne tournent plus à la bonne vitesse : les voix d’alors semblent sortir empâtées de la bouche d’une famille d’ivrognes ou d’idiots. Les planètes dans l’univers, la dérive des continents et les hommes suivent la même voie : ils s‘écartent à des vitesses de plus en plus grandes vers le vide glacé. Je tremble comme un cheval de mine qu’on remonte à la surface !

     

    On n’entend plus d’oiseaux ; plus d’étourneaux chercher, groupés, un arbre où se poser ; pourtant, ils chantaient autour de la villa, comme ils gazouillent encore sur le gazon fleuri des camps. La septième porte de Barbe bleue ouvrait sur la Shoa. « Mon père m’a tué, ma mère ma mangé » dit la chanson…Sœur Âme, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Seulement la neige qui poudroie, la nuit qui merdoie, et la mort qui mordoie aux talons comme des chiens dressés…Et nos frères, où sont-ils ? « Cui-cui, répond l’oiseau bleu, je suis toujours vivant ! ». Déjà mon cœur chassait de sa volière toutes les perruches de l’enfance.

     

    Parfois on devinait, parfois on ne voyait plus, le limbe entrevu à l’orée, comme les feux  d’un rafiot en difficulté, parti chaluter en haute mer dans les eaux froides de Thulé ; Père, mon père, tu as travaillé avec ardeur sur les lentilles Fresnel du phare battu par les flots furieux de ma jeunesse et du passé ; déjà, depuis ma naissance par un obscur novembre de guerre, ma poitrine jouait avec le mikado d’épingles de mon souffle ! Pour sauver le bébé, faute de médicaments, on me plongea alternativement dans un bain de glace puis d’eau brûlante ; ça passe ou ça casse, dit la sage femme. Père, ô père, après tant d’années de prison,  dis-moi : que cherchaient-ils de plus ceux qui, par un beau matin ensoleillé de janvier 42, s’étaient réunis dans cette villa pour régulariser l’horreur, organiser les ténèbres et tuer l’avenir ?

     

    Je marchais en aveugle, je marchais sur la neige, je marchais sur l’eau qui devenait de la boue…les foules écoutaient à la radio le sermon  sur la montagne, les béatitudes imbéciles des trois dieux en un : Mao, Hitler ou Staline ; le monde  des banques et des curies se partageait les dividendes coloniaux du massacre impuni des peuples. Chaque matin, je passe tremblant de la bassine nocturne à la bassine chaude du jour ; ça passe et ça casse ! Ô mon amour, pardonne-moi ; l’armoire à pharmacie du ciel est vide ; il n’y a plus que toi pour faire et défaire lentement les bandes Velpeau de l’aube.

     

    Je tourne en rond dans ce bois uniforme, inconnu et désert, en bordure des hommes où demain je lirai des poèmes inconnus conformes à mon désert ; et je passe et je repasse sur mes traces comme le renard suit les l’odeur et les signes de piste qui le ramènent à sa tanière : je revoyais, dans la villa de l’étrangère qui attendait de le voir divorcer, mon père laver son torse nu et son sexe, sous le grand robinet du jardin en hiver comme faisait, vingt ans auparavant, l’apollon guerrier des magazines nazis  ; je revoyais, dans l’unique mansarde où nous vivions entassés, ma mère passer et repasser devant moi, mal endormi sous l’édredon, pour habiller ses jeunes seins et son corps blanc, me laisser dans le noir, et sortir danser dans les rues en liesse avec les flonflons anglo-américains de la libération…

     

    Le vent a tourné ; il vient du quartier des villas luxueuses et du lac derrière moi ; ça sent la vase ; c’est fade un peu comme dans la chambre froide d’un boucher ou le coin des tanneurs en dehors du village ; au pays de Goethe les camps de la mort n’ont jamais existé ; je n’ai jamais tué de chats ou alors, si peu mais je ne me souviens pas, puis il fallait …Mon père m’a raconté qu’à Hambourg, sous la pluie des vipères du napalm, il a vu un homme carbonisé debout sur son vélo, et que, dans l’eau huileuse du port, on voyait flotter des fantômes comme des asperges pâles sorties du sol.

     

    Et j’erre dans ce bois aux troncs sombres comme des runes gravées sur le marbre noir d’une tombe ; dans ce labyrinthe envahi d’une mémoire de ronces et de racines autour des ruines d’un temple perdu ; dans les catacombes oubliées où sont alignés des millions de victimes ; dans ce berceau de crêpe funèbre où dorment, au fond de l’espace soyeux au-dessus de nos têtes, les enfants et les fœtus silencieux des femmes éventrées, gazées dans les bunkers ou mortes de faim. Ils savaient tous ! Mais qui pouvait y croire tant que tant d’hommes se ruaient les uns contre les autres ? Et j’erre parmi les feuilles mortes qui couvrent, cachent et couve la pourriture comme un collyre dans l’œil brouille la vue.

     

    Le cœur a ses méthanes ; la folie, ses méthodes ; l’ordre (nouveau), ses graphiques à la place des hommes, comme on explique l’ivresse des profondeurs à ceux qui plongent masqués, et remontent éblouis par les monstres, les poulpes prédateurs, l’implacable appétit des seigneurs des abysses, auxquels ils se vanteront de ressembler sans états d’âme ! C’est ici, dans des fauteuils de cuir, sous les lambris dorés et les regards d’hôtesses pour l’uniforme des gradés,  que furent conclus les décrets de néant dont ils s’affirmeront les exécutants parfaits ! Est-ce cela qu’ils sont venus chercher ?

     

    Pendant le procès, ma mère a brûlé tous les papiers, lettres et photos de son mari; jamais je ne le verrai en prison, où elle, bien qu’infidèle, ira chaque semaine ; est-ce le secret bien gardé de leur rencontre, de leur amour ou non, de leur complicité ou non, que je suis venu chercher ? Et qui parmi les hommes ne l’a pas fait avant moi ? Je ne parlerai jamais allemand, mais français et quelques mots yddish que mon grand-père, trois fois décavé comme Cendrars, me confia coupé en deux, hémiplégique et mort entre deux langues, deux femmes et deux verres. Faudra-t-il toujours marcher dans  les cendres et la suie des brûlis de l’histoire ?

     

    Entre demi-vérité, demi-mensonges arrangés, la tête me tourne, et je m’assieds comme la momie inca dans son urne ! Au-dessus de moi, le manège des grands arbres muets s’emballe et je tente, à chaque passage, d’attraper la floche du nuage, la queue d’une image qui se dérobe et danse là-haut pour un tour de plus, un tour de mieux, une promesse de durer. A quoi pensent ceux qui lâchent des bombes sur les villes ou planifie la mort ethnique? J’entends du haut de la grande roue du troisième homme Orson Welles demander, en désignant, en bas, les points minuscules de la foule, qu’est-ce que ça fait si quelques uns disparaissaient…

     

    Et j’ai pleuré !

     

    Je pleure encore, transi, percé, curé, cureté, poncé, hypothéqué, tétanisé, comblé  jusqu’à l’âme, sans rien comprendre ni savoir pourquoi, devant l’indescriptible beauté, l’élégante perfection des équations de la matière, un rouge orange chez Rothko, un haute-contre dans solitude de Purcell, le saut de l’ange de l’être humain vers l’inconnu, la gamine qui saute à cloche-pied dans la marelle à la craie de l’amour et du destin…Qu’avaient-ils oublié ceux-là qui faisait d’eux les premiers morts, les coryphées hystériques, les histrions burlesques et sanguinaires de la danse macabre qui farandole derrière le linceul masqué de la brigue et du goût crépusculaire ?

     

    Et je me lève !

     

    A tout jamais ! Je suis poète et sur ma tombe Les jeunes filles éparpilleront les pétales de roses Et les hommes le myrte, déjà la nuit Fend le jour de son épée sombre…Et plus d’un a chanté ces chants Avec plus d’adresse plus de finesse que moi, Et plus d’un aujourd’hui dit mieux… Mais je marche. Ah ! C’est par une femme que je suis né ; pas une, mais plusieurs, dans la lignée des descendances ; toujours je marche vers la dernière, celle qui de mon chant fera une parole ; qu’il soit pur ou impur, pourvu qu’il chante la vie ! Un rescapé dans la ville de Dresde m’a confié que, dans les décombres, tous faisaient l’amour, n’importe qui avec n’importe quelle : c’était génétique, disait-il. Tout poème est une genèse urgente! L’amour d’une seule et le monde est sauvé !

     

    Je trébuche, je tombe ; la tête me tourne. Où est-on lorsqu’on perd connaissance ? Pourquoi me rappeler soudain Corto Maltese comme un frère, pour avoir vu la photo d’Hugo Pratt à Venise, gamin vêtu du même uniforme fasciste au côté de son père et partant, comme Rimbaud, pour les désastres d’Ethiopie ; exactement comme à Anvers, on me verra, à trois ans, vêtu de l’uniforme noir de mon père avant la débâcle nazie, la séparation puis la fuite avec ma mère vers l’exil ambigu et solitaire des réprouvés !

     

    Que serais-je devenu, qui m’a fait ? Est-ce moi ou l’histoire ? Question qui dépasse ma personne et que chacun peut se poser ! Cependant deux films : the fugitive kind et un jeune fou à la trompette ; deux  auteurs : Michaux avec La connaissance par les gouffres et Pessoa l’individualiste fraternel ; Ave verum corpus de Mozart et le War requien de Britten ; Charlie Parker, Billy Holiday et tous ceux dont le bois était fait de potences ; la voix, de papier abrasif et le passé de Rustines d’encre sur du papier

     

    Il fait noir, il fait nuit, il a toujours fait glauque, ombre et lumière, au fond du cœur obscur de l’homme ; les pyramides sont laides ; il n’y a pas de fenêtres et ainsi l’enfance ! Mon maigre sac, couvert de neige,  pèse lourd aux épaules ; on dirait l’outre d’Éole qu’il suffirait, comme la poitrine, d’ouvrir pour que se déchaînent vents et tempêtes ; une bombarde, un biniou, qui portés à la bouche, lâcheraient la colère, les cris et la rancœur des suppliciés pour rien, leur désespoir impuissant des victimes innocentes. C’est la nuit de la méduse !

     

    Cette forêt doit en plein jour représenter à peine une promenade, un parc agréable pour le voisinage et ceux de la ville, dont on entend faiblement battre le pouls sur le périphérique. Berlin n’est plus en ruines bien que, de chaque côté du Mur, il reste des trous de bombe non comblés, des cratères dans la conscience, un no man’s land miné sous la poussière grise du silence ! Dans le train, en épluchant mes papiers, les douaniers du secteur russe m’ont demandé si c’était « pour voyage d’affaire ou d’agrément ». La littérature semblait un mauvais prétexte !

     

    J’avance, je m’avance sur la scène sans rideau devant la salle vide où s’est jouée la pièce, dont je n’étais pas l’auteur, quand le mal absolu voulait des marionnettes et un décor de guerre ; je suis perdu, je m’égare, c’est le trou noir, Troie après la prise, le pillage, l’incendie et la démolition des murs ; la mise à sac, la prise d’otages et personne pour me donner la réplique ! Se haïssaient-ils tellement ou aimaient-ils tant l’exécrable plaisir pervers qui triomphe de la peur par la victoire sur les plus faibles, ceux qui en deux heures, ici à la villa Marlier, ont justifié l’horreur pour les siècles à venir et la terreur comme toujours et pour toujours ?

     

    Un instant, ma fatigue crût voir passer, derrière le rideau fermé des arbres, le gyrophare d’une voiture de police, d’une patrouille, d’une ambulance, ou que sais-je ? Peut-être me recherchait-on ? Un peu comme ces femmes qui m’ont sauvé les unes des murènes de la violence,  les autres des aspics de la pensée, et la derrière des incendies qui se dévorent eux-mêmes, en m’apprenant à prendre sans priver, à donner sans réserve, enfin à recevoir sans remercier. Je marchais avant ces jours-là les yeux embués, le regard brouillé, sous l’espèce de masque porcin de l’époque contre l’ypérite et le sarin de l’amour…

     

     


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  • les grillons chantent la nuit... extrait ( in la chute de la grande roue )


    Dieu que c’est bête

    Un homme !

     

    Il m’a prise en stop

    Dans un parking

    De routiers

     

    Je suis ton âme

    J’ai dit et j’ai coupé

    La radio

     

    Juste avant l’accident

    Il regardait encore

    Mes jambes

     


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  • l'oeil & la plume...

      ill jlmi 2023 (d'après Alain Faure)

     

     

    Mourir à dix ans n’est rien

    Mais pas puceau

     

    Méningite cérébrale le feu

    Des piqures

    Toutes les heures pendant

    Des jours

     

    Alors que vienne l’amie de

    La famille

    Qu’elle se déshabille enlève

    Sa culotte

     

    Et que je voie qu’elle touche

    En pleurant

    Sans rien d’autre à faire que

    De frôler

    le Grand Mystère des grands !

     

    Mourir n’est rien quand on

    A dix ans et

    Qu’on n’en saura pas plus

     

     in le Palestre de Samos   inédit

     

     


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  • « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus »     Pina  Bausch
     

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    Pina Bausch

    Danse avec les yeux

    Elle regarde

     

    Même les yeux clos

    Elle voit

     

    On sent l’appui léger

    De son regard

     

    On sait que c’est là

    Que commence

    La danse

     

    On comprend

    Le bleu n’est pas une

    Couleur froide

     

    Qui brûle

    Sans brûlure ni cendre

     

    La mer

    N’est la mer que sous

    La vague

     

     

    Le reste

    Bruits d’écume

    Sur des gestes de noyé

     

    Le ciel et la mer

    Sont de même couleur

     

    L’horizon

    N’a jamais de frontière

     

    Pas plus que la mort ne

    Sépare l’âme et

    Le corps

     

    L’âme et la chair

    Dansent sous l’unique

    Paupière  

     

    Pina Bausch

    Commence où se retire

    Le regard 

     

    On comprend

    Qu’elle veut se joindre

    A l’universelle

     

    Cécité 

    Pour commencer

    Où tâtonne le Sensible

     

     

    Comme danse

    L’éphémère sans poids

    Ni attaches

     

    Indifférente

    Au côté du vent

    Qui emporte son désir

     

    Mais jamais à la claire

    Lumière où elle

    Mourra

     

    Comme l’aigle de face

    Quand le soleil

    Aveugle 

     

    Pina Bausch

    Danse d’abord avec la

    Paume

     

    La carte muette

    Des lignes à ciel ouvert

     

    L’élégant cou de cygne

    De son poignet à

    La renverse

     

     

    Le roseau d’un geste

    Sur l’ombre courbe

    De l’horizon

     

    Avec ses doigts

    Le long de l’amiante

    Echevelée

     

    D’éruptions solaires

    Cherchant 

    Les aurores boréales

     

    Et l’étoile filante

    Du désordre d’aimer

     

    Avec l’ombre

    Du catalpa à l’empan

    Large de sa main

     

    La longue

    Palme blanche du bras

    Ramenée  

     

    Sur sa poitrine osseuse

    Et nue de bréchet

    Neigeux

     

     

    Sur les pétales

    D’un souffle accastillé

    De magnolias 

     

    Qu’emporte la brume

    Blême et l’haleine

    Sous le poids

     

    De la rosée du silence

     

    Et la charge 

    Des beautés qu’on ne

    Peut retenir

     

    Pina Bausch danse avec

    Son buste

     

    Lettrine 

    Portail  d’église

    Clé de voûte des ogives

     

    Du chœur

    Où elle entraîne et nous

    Et sa troupe

     

     

    Café Müller

    Où les chaises du monde

    Sont bousculées

     

    Car qui est-elle

    Qui marche ainsi au bord

    Du vide

     

    Car qui est-elle

    Qui déshabille la solitude

    Du désir

     

    Car qui est-elle

    Qui danse ce que nous

    L’homme

     

    Et la femme

    Avons de plus fragile et

    Qui fait fuir

     

    Et revenir

    Et trembler devenir fou

    Et connaître

     

    Parce que toucher déjà

    Est de l’amour  

    Et danser

     

     

    Un exorcisme

    Et l’envoûtement

    Pour n’être pas dissous

     

    Se perdre

    Après l’apocalypse

    De la pudique approche

     

    Ce dernier soleil il périra 

    Dit l’inca

    Gomara puis Montaigne

     

    Lévi-Strauss

    On a dépassé le point de

    Non retour 

     

    Sixième destruction

    Du monde bleu mais pas

    De la vie 

     

    Pina Bausch

    Danse la panique divine

    Du corps

     

    Comme un temple 

    Quand tremble la roche

    Qui le fondent

     

     

    Comme un couple

    Sous l’orgasme agoniste de la

    Foudre

     

    Pina Bausch

    Danse avec un bassin de chair

    Où bougent

     

    Se nouent

    Virent  réapparaissent

    Et se retournent comme brelan

     

    Sous la glauque

    Profondeur interdite des bancs

    Poissonneux

     

    Du désir et les monstres inédits

    De la reptile solitude

     

    A l’amère ressemblance 

    Des grands fonds de corail mort

     

    Avec l’espace aux astres  éteints

     

    Pina Bausch

    Peut danser comme un tableau

     

    Que les cimaises

    De la beauté tiennent accroché

    Au ciel

     

    Tant il est vrai

    Que tout bouge et qu’on ne sait

    Pas où mettre les pieds

     

    Et lancer dans l’espace son corps

    Faire confiance aux murs

    Qui cernent l’air

     

    Au poids qui pèse sur les surfaces

    De la pensée et de

    La peau

     

    Au temps qui s’use dans la durée

     

    Pina Bausch

    Peut danser immobile et montrer

    Ce qui danse

     

    Et constitue

    La matière des poupées russes de

    L’univers

     

    La marche contenue dans la chute

     

    Et les bonds

    Les sauts de cabri des désirs qui ne

    Peuvent rester tels

     

    Sans retomber dans l’ordre violent

     

    Dans la posture

    Où Pina Bausch attend les passages

    De comètes de l’amour

     

    Le terrible goutte à goutte

    De la beauté qui perce l’acier le plus

    Dur de l’âme

     


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    photo wl

     

    Le temps est sans fin

    L’espace est sans fin

     

    Et sans fin

    Ni repos les matières

     

    Car est matière

    Ce qui résiste au désir

     

    L’homme

    L’ouvrage et son désir

    Sont sans fin

     

    Et la bombe

    D’Hiroshima tombera

    Sans fin

     

    Rudérales

    Sont les fleurs

    De nos jardins saccagés

     

    Sur les décombres

    Et le remblai en friches

    De nos consciences

     

    Lumière

    Les cendres du soleil

     

    Cosmos

    Ce qui couve encore

    De son feu

    Dans l’incendie

    Aux lisières aveugles

     

    Et la pluie noire

    Des moussons du vide

     

    Mais l’ombre

    Marquée sur un pan

    Carbonisé d’Hiroshima

     

    Est le fantôme écorché

    De qui passait  

    Sous les bruissements

    De cerisiers

     

    Dont on disait en ville

    C’est le frisson

    Le plus secret du beau

     

    Qui seul peut

    Nourrir l’âme humaine

    Mémoire

    Le terrain vague

    Où la végétation sauvage

     

    Des images d’Hiroshima

    Repousse toujours

     

    Parmi les gravats

    De l’horreur instantanée

     

    Et les crépis boursouflés 

    De la peau

    Et les pustules de la peur

    A venir

     

    Brûlis  

    Où l’ortie amère persiste

    Plus têtue

     

    Que l’oasis dans le désert

    Du cœur

    Ou le nerf

    Des coqs décapités

    Que la fureur fait courir 

     

    Les mots

    Comme des gants

    Oubliés rêvant de caresses

     

    Que la main

    Ne peut connaître que nue


    Après ce souffle

    Et l’érection priapique

    De sa puissance

     

    Que faire

    Du souffle faible

    Qui habite la carcasse

     

    Et sa trace

    Dans le verbe proféré

    De la férocité

     

    Sinon

    Répéter la présence

    Qui dénonce

     

    Et le verbe

    Qui embrase autrement

     

    L’innocence

    De ce qui apparaît

    Quand la beauté enfante

     

    Nos regards

    Et l’orgasme naïf

    De l’aurore après l’aube

     

    Ou l’horizon

    Qui recule pour

    Laisser place à l’immense 

     

    Mon âme

    Faudra-t-il boire

    Dangereusement penchée

    Comme la girafe

    Qui fait le grand écart au

    Bord des berges

     

    Où nage

    Entre deux eaux boueuses

    Le crocodile

    Aux bonds soudains

    Et prodigieux pour prendre

    Au cou et entraîner

     

    La proie aux yeux trop doux

     

    Ou comme le ginkgo

    Dont les racines s’abreuvent

    A la nappe profonde

     

    Lorsque tombe

    La foudre aveugle d’en-haut

     

    La vie par les oiseaux

    La mort par l’homme-oiseau

     

    Dont les œufs

    De coucou ont dépeuplé

    Le nid de la couvée des autres

     

    Mon âme

    A l’âge de la matière ardente

     

    Elle est née du chaos et chante

    Un chant qui monte

    A pleine gorge depuis le néant

     

     

    La seconde de silence

    Après qu’Hiroshima

    A cessé de disparaître

     

    La seconde de silence

    Après qu’on a ouvert

    Le camp d’Auschwitz

    Et découvert

    Jusqu’où peut retomber

     

    La nature trahie du nom

    D’homme

     

    La seconde de silence

    La même

     

    Que rien d’imaginable ne

    Peut meubler

     

    La reconnaîtrons-nous et

    La ferons-nous nôtre

     

    Le poème

    Sera-t-il la suivante

    Qui du fond de notre âme

     

    Fera paraître

    Après ce total déblaiement

    Des illusions

     

    L’espace pris

    Par la première note

    Du premier chant lancé ici

     

    Aussi intact que la seconde

    Avant l’horreur  

     

    Jusqu’où

    Faudra-t-il curer

    L’étang des certitudes

     

    La plaie ouverte

    Des crépuscules au ras

    De l’horizon

     

    Et qu’aurons-nous

    Encore à respirer d’air

    Qui ne soit pourri

     

    Par le passage

    Dans le cloaque obscur

    De la mort

     

    Et les sanies

    Dans la bouche du verbe

     

    Alors qui

    Osera dire je t’aime

    A la louange de ce qui est

     

    Si ce n’est le poème

    Qu’aucune apocalypse ne

    Désarme

     

    Lui le souffle le plus haut

    Et le plus faible

     

    Des mots qui l’emportent

    Vers les ténèbres libres

    Et dévorantes de la beauté

     

    Combien de temps

    Faudra-t-il avant

    Qu’un premier chien

    Perdu ne s’aventure

     

    Et dans le camp vide

    Des crématoires

    Et dans le champ

    D’Hiroshima

    La ville comme un œil

    Sans rien dedans

     

    Combien de temps

    Avant que nos lèvres

    Ne produisent tout bas

    Le bruit des mots

    Perdus par le chagrin

     

    Combien de temps

    Avant que dans la tête

    Ne retombent l’écho

    La fumée la poussière

    Et tout ce qui recouvre

    Les eaux troubles d’hier

     

    Où se tiennent debout

    Les échassiers de l’âme

    Une patte sous les plumes

    Et l’autre dans la boue

     

    Comme ces fours

    Et ces tours dont s’obstine

    Le rappel

     

    Malgré les ans tranquilles

    Et les nuages qui oublient  

    Là où ils ont souffert

    La chute brutale

    Du soleil

     

    Le flash

    Photographique

    Monstrueux du ciel

     

    Là où ils connurent

    L’épouvante

    De voir s’effondrer

     

    Le château de cartes

    De la lumière

     

    Là nous avons désuni

    La matière

     

    Et rendu éparse

    La poussière universelle

    De l’harmonie

     

    Et nous voilà contraints

    De promener

    Les animaux grimaçants

    De la laideur

     

    De les nourrir du lard

    Grouillant

    De la vulgarité de l’âme

     

    Et d’attendre

    L’amoureuse impatience

    Que promet

    Le vertige d’être l’œuvre

    Nous sommes décombres

    Sur les décombres

    De nous-mêmes

     

    L’art qui n’est qu’amour

    A reconstruire

    Peut seul

     

    Nous rendre les beautés

    Des débuts

     

    Car rien n’encombre

    Sa prophétie

    De n’être à lui-même

    Que liberté de naître

     

    Tout oiseau qui se pose

    Sur l’herbe où repose

    Le souffle d’Hiroshima

     

    Marche sur de couches

    De morts

     

    Tout papillon qui bat

    Des ailes pour s’enivrer

    De pollen

    Remue des cendres

    Qui prennent la lumière

    A la gorge

     

    Et quand un crépuscule

    Teint ses mains au henné

    Pour épouser l’ombre

     

    Que reste-t-il d’autre

    Que nos pauvres paroles

    Dans la chorale des choses  

    Cependant

    Le temps tout entier

    De l’instant

     

    L’instant tout entier

    Du temps

     

    Restaient suspendus

    Comme aux lèvres

    Un baiser juste donné

     

    Et la vie qui connut

    Tant de déluges de feu

    Et d’eau sur les terres

     

    Comme un manteau

    De verre qu’on met

    Et qu’on retire selon

     

    La vie têtue revient

    Avec le rose aux joues

    Des jeunes filles

     

    Et l’archet de la sève

    Contre la corde

    Neuve des jeunes gens 

     

    La vie comme un couple

    Sous le noir

    Parapluie des mystères

     

    Ou l’ombrelle

    Claire d’un feuillage

    Frissonnant de promesse  

    Quelque chose est monté 

    Du rien qui restait

    D’Hiroshima

     

    Peut-être la paix possible

    D’une musique sans

    Intentions

     

    Comme on chantait la vie

    Dans les baraques

    De la Shoa

     

    Comme on enlève

    Son chapeau en entrant

    Quelque part

     

    Sans voir où l’accrocher

     

    Quelque chose

    Qui ferait qu’on entende

     

    En touchant

    Une pierre restée à terre

     

    Qu’elle chante au-dedans

    Autant

    Que les étoiles au-dehors

     

    Que le poème se tient là

    Pour le dire

     

    Et l’art

    Afin que dure une beauté

    Indifférente

     

    Qui doit

    Tout à son regard vers elle  

     

     


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